1. PRIEZ POUR MOI, PAUVRE PÉCHEUR... (à la ligne)

 

PRIEZ POUR MOI, PAUVRE PÉCHEUR…


(à la ligne)

 

Le Centre ambulancier où j’effectuais mes premiers stages de jeune diplômé avait une particularité, bien moins excitante que les permanences SAMU pour lesquelles je me réjouissais encore de travailler le week-end : le transport de corps avant mise en bière (à ne pas confondre avec le transport de bière avant mise en cor... réservé exclusivement aux chasses à courre).

Autant vous dire que pour ces missions quelque peu particulières (et parfois carrément gores), les volontaires ne se bousculaient pas au portillon.

Aussi était-il d’usage que les petits nouveaux y soient initiés dès leur arrivée... une sorte de baptême de bienvenue !

Ce fut donc en binôme avec l’unique volontaire et grand spécialiste de la chose, Daniel, que j’effectuais ma première mission de cet ordre.

Elle consistait à transporter une petite mamie fraîchement décédée (si je puis dire), d'une clinique Yvelinoise, jusque dans une luxueuse propriété familiale où elle serait veillée durant deux jours avant ses obsèques.

Une coutume assez habituelle en province, mais plus rare à deux pas de la capitale.

J’avais pour l’occasion respectueusement ciré mes plus belles pompes (funèbres), et noué soigneusement la cravate sombre de circonstance, qui tranchait admirablement avec notre blouse blanche, flanquée d’une magnifique croix de vie !

Lorsque nous nous présentâmes sur le perron de la villa, nous fûmes accueillis par la maîtresse de maison, la fille de la défunte.

Une femme très élégante, toute de noir vêtue, qui nous expliquait qu' elle souhaitait qu’on plaçât sa maman dans la chambre d’amis, située à l’étage, afin que chacun puisse aller lui rendre un dernier hommage en toute intimité.

Mon collègue Daniel ayant remarqué que de nombreux invités se trouvaient dans le hall d’entrée, demanda poliment s’il était possible de réunir tout ce petit monde dans une pièce à l’écart, le temps qu’on installe et qu’on prépare « feu Madame votre mère » (telle qu’il l’a nommait avant même qu’elle fut incinérée... ne pouvais-je m’empêcher de penser !).

Une fois le hall dégagé de tous regards inquisiteurs, j’allais très vite comprendre le pourquoi de cette sage précaution.

L’accès à la chambre devait se faire par un escalier de type seize me dit-il (comprenez "très étroit" dans son jargon ambulancier), et de surcroît (terme de circonstance pour cette famille très croyante), en forme de colimaçon : pour les non initiés... une sorte d’escargot qui allait nous en faire baver !

Précisons au passage (fut-il étroit), que feu notre mamie mesurait près d’1,90 m et pesait bien son quintal.

Ce fût donc avec la bâche de transports qu’il fut décidé de monter Madame à l’étage, et comme j’étais le plus jeune, il me revint aussi l’honneur de me mettre à la tête (qui était surtout le côté le plus lourd !).

A peine avais-je monté trois degrés de l’escalier hélicoïdal, que la tête de notre mamie qui s’était retrouvée bien malgré moi entre mes genoux, craqua bruyamment !

Je restais pétrifié... figé comme l’obélisque au milieu de la place de la Concorde, mais la tête basse et le nez pointant comme l’avion du même nom vers celle dont je venais de toute évidence de briser la nuque.

Daniel me sortit de ma torpeur par cet élégant truisme : « bon alors tu montes ? Ça va pas la tuer une deuxième fois ! »

Nous poursuivîmes donc tant bien que mal notre ascension jusqu’à la chambre, et déposâmes le corps quelque peu désarticulé sur le lit joliment drapé de tissus soyeux en dentelles fines, au-dessus duquel nous observait du coin de l’œil Jésus sur sa croix, pendant que je portais la mienne.

Daniel, peu impressionné par ce pieu pieux, donnait un coup de poing sec dans l’oreiller, qui vint creuser une cavité propre à caler durablement la tête de la malheureuse.

« Et voilà ! lança-t-il, tu vois, pas de quoi en faire un drame ! ».

Si j’avais su à cet instant que je n’en était qu’au début de mes surprises…

En ouvrant le sac mortuaire, nous constations que la défunte avait la bouche anormalement grande ouverte.

Un rapide examen nous permit de comprendre que la couture gingivale de thanatopraxie, qui devait en théorie la maintenir fermée, avait cédée, et les tentatives de Daniel pour refermer la mandibule restaient vaines.

S’il eût été de bonne grâce de permettre à Mamie de reposer dans la béatitude, son attitude béate en revanche avait quelque chose d’inconcevable.

J’imaginais déjà la pauvre femme emballée de bande crêpe (elle qui n’était même pas Bretonne !), mais l’image du tableau final me fit passer l’envie de bander (surtout dans le contexte).

Daniel m’interpella brusquement :

- Passe moi le bouquin là, me désignant l’objet posé sur la commode.

- Heu, t’es sûr ? Je crois que c’est une bible...

- Et bien justement ! Au moins ça lui servira à quelque chose...

Autant vous dire qu’en levant les yeux juste au-dessus du lit j’ai senti comme un regarde réprobateur... Mon Dieu ! Mon Dieu !

Et tout en chantonnant « Plus près de toi Seigneur !... » Daniel cala délicatement les Saintes Écritures entre les clavicules et la mâchoire inférieure de Mamie,  remonta le drap jusqu’au menton, et le tour était joué.

Tout comme celles du Seigneur, les voies de Madame devinrent impénétrables.

Daniel, dans un dernier élan de professionnalisme recommanda vivement à sa fille qu’on ne touchât pas aux draps qui recouvraient feu Madame sa maman.

- Amen... (toi Richard, on y va !).

 

#richardleformateur

www.le-secourisme-en-video.org

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