4. A TITUS, PETITE ETOILE PARMI LES ETOILES...

J’étais à cette époque tout jeune ambulancier en région parisienne.

A mes débuts, comme tous les employés récemment recrutés dans ce grand centre ambulancier, j’effectuais principalement des transports en VSL (véhicules sanitaires légers) pour des consultations médicales : il fallait faire ses preuves avant de pouvoir prétendre à effectuer des missions plus sensibles ou des permanences pour le 15.

Bien qu’à priori peu passionnantes d’un point de vue médical, je trouvais néanmoins dans ces missions quelques satisfactions quant aux relations humaines que permettaient de développer les contacts répétitifs avec nos patients les plus fidèles.

Bien que cela ne soit pas très déontologique (diront certains coincés du postérieur), je m’étais lié d’une certaine amitié, presque fraternelle, avec un petit bonhomme de 6 ans, atteint d’une forme rare de trisomie 18, dont on m’avait expliqué que l’espérance de vie était relativement courte et n’excèderait probablement pas sa majorité.

(J’aimerais tellement parfois que les médecins se trompent)

Sa mère, qui élevait seule ce petit bout de choux depuis sa naissance, travaillait durement pour subvenir aux besoins matériels de son fils et lui offrir tout le confort possible que ces quelques années à vivre lui permettraient peut-être d’apprécier.

Elle avait très vite remarqué les liens particuliers qui se tissaient entre Titus (c’est le surnom que je lui donnais) et moi, et surtout la joie qu’il éprouvait chaque fois que je venais le chercher.

Aussi demandera-t-elle à mon employeur que je sois le seul à effectuer ses allers-retours quotidiens pour le transporter dans la structure spécialisée qui le prenait en charge du lundi au vendredi.

Autant vous dire que cette demande particulière était plutôt pour satisfaire mes collègues qui voyaient là un moyen d’échapper aux fréquents « désagréments » qu’occasionnaient pour eux le transport du bout de choux, qu’il nous fallait aller chercher très tôt le matin, et ramener tard le soir, au gré de la circulation et des « incidents de transports », car précisons-le, notre petit patient avait la douloureuse  habitude de vomir pendant le voyage, nous obligeant à stationner en urgence, n’importe où, pour pouvoir le désobstruer le cas échéant, le nettoyer puis changer les vêtements souillés avant de reprendre la route.

Sa maman ne laissais jamais moins de six rechanges dans sa petite valise bleue.

J’avais l’habitude de venir un petit quart d’heure plus tôt chaque matin, pour partager le café avec elle, et l’aider à finir de préparer Titus, tout excité à l’idée de faire la route ensemble.

 Sa mère m’avait dit un jour que la grande musique l’apaisait et l’aidait même parfois à s’endormir. Alors je m’efforçais d’écouter Brahms, Mozart ou Beethoven, que mon jeune âge ne me permettait pourtant pas vraiment d’apprécier... mais que n’aurais-je fait pour satisfaire mon petit protégé ?

Et bien nous y voilà !

Ce vendredi soir de décembre, à l’approche de Noël, je raccompagnais mon petit patient dans la froidure de l’hiver qui s’était durablement installée.

Il s’était endormi dans son siège, bien au chaud, la tête calée contre un épais coussin qui l’isolait de la vitre glacée.

La lueur des réverbères laissait apercevoir un petit sourire sur son visage d’angelot. Je « baissais donc la truite d’un ton » (n’en déplaise à Schubert !), et prenais moult précautions pour anticiper les pièges de la route, devenue glissante, éviter les secousses dans les virages et les freinages trop marqués, afin de limiter autant que possible les régurgitations stomacales du pitchoun.

Les rues tortueuses de Louveciennes m’obligeaient à ralentir davantage encore, et je sentais qu’un automobiliste apparemment pressé me collait nerveusement.

Il s’agissait en fait d’UNE automobiliste, visiblement très agacée par ma conduite et qui l’exprimait rageusement à coup de vrombissements de moteur et d’appels de phares frénétiques !

Cette cinglée du volant finira par me dépasser en plein virage, en usant sans relâche de son avertisseur sonore.

Je freinais prudemment pour anticiper les conséquences d’une possible collision avec un véhicule venant en sens inverse, et bien m’en prit car cette chauffarde ne trouva rien de mieux que de se rabattre et freiner brusquement devant moi pour exprimer sa hargne !

 La fine couche neigeuse recouvrant la chaussée eut tôt fait de nous entraîner l’un et l’autre dans un dérapage incontrôlable, nous immobilisant miraculeusement sans heurt sur le bas côté de la route.

Mon petit patient, bien que secoué dans l’embardée ne s’était pas réveillé... j’étais furieux !

Je descendais de voiture pour sermonner celle folle quand je la vis débouler vers moi pour m’agonir d’injures ! Un comble !!

Je refermais rapidement la porte de la voiture pour ne pas laisser pénétrer le froid et épargner à Titus les vociférations de cette hystérique dont le QI devait avoisiner celui d’un moule à gaufre (avec tout le respect que j’ai pour cet ustensile !).

J’essayais d’expliquer que je transportais un gamin particulièrement fragile, mais cette hystérique n’avait que faire de mes explications.

J’avoue avoir à cet instant prononcé quelques vérités peu amènes à son endroit, ce qui ne fit qu’exacerber l’importune qui en bavait de rage !

C’est alors que je vis trois personnes se précipiter pour me prêter main forte... enfin du moins le croyais-je, jusqu’à ce que la perfide se mette à hurler au secours !!

Et très vite je compris que ces trois abrutis allaient se tromper de victime en se jetant sur l’affreux bonhomme en blouse blanche plutôt que sur la « faible femme » !

Cette dernière, forte du soutien inattendu des trois passants qui s’interposaient, en profitait pour me filer un bon coup de pied dans le tibia, et tenta de m’arracher l’œil d’une main méchamment fourchue ! Ah la garce ! (comme disait Saint Lazare)


Puis j’entendis l’un des types suggérer d’appeler la police...

L’idée d’avoir à me justifier longuement pour prouver que j’étais la victime de cette regrettable histoire m’était insupportable, et je m’inquiétais surtout pour mon jeune patient resté seul dans la voiture.

 Aussi me dégageais-je  vigoureusement de l’emprise des  trois hurluberlus qui tentaient de me retenir, et quittais les lieux précipitamment sous les insultes et coups de pieds de ces « citoyens modèles », vivement encouragés par l’autre excitée.

Mon petit patient s’est finalement réveillé, un peu secoué par mon départ précipité, mais heureusement ne s’est rendu compte de rien.

Je repris donc une allure posée, tout en passant la 5ème (...mais non, de Beethoven !) jusqu’à son domicile où sa maman nous accueillait, dans la pénombre de cette fin de journée.

J’étais encore sous le coup de l’agression, mais décidais de n’en rien dire à cette brave femme, afin de ne pas l’inquiéter inutilement.

En remontant dans mon VSL, la lueur blafarde du plafonnier me laissait entrevoir une plaie verticale sous-oculaire de quatre ou cinq centimètres de long.

Après m’être éloigné un peu du domicile, je m’arrêtais pour attraper la trousse de premiers secours et nettoyais la plaie.

J’arrivais une demi-heure plus tard au centre ambulancier où se trouvait étonnamment encore mon boss.


Figurez-vous que les trois gugusses n’avaient rien trouvé de mieux que d’appeler la police pour raconter que « j’avais agressé violemment une jeune femme dans l’après-midi ». Et bien que la pseudo victime n’ait pas souhaité se rendre au commissariat pour déposer plainte, les fonctionnaires avaient néanmoins contacté mon employeur pour lui faire part de mon « inacceptable comportement »... mais ça, je ne l’ai su qu’après l’inoubliable échange verbal que j’allais vivre à cet instant avec mon patron :

En me voyant débarquer dans le bureau, avec cette magnifique balafre sous l’œil...

- Ben qu’est-ce qu’il t’arrive toi ? (me dit-il en désignant ma pommette gauche)

Allez savoir pourquoi, plutôt que de lui raconter la vérité, probablement par peur de me faire licencier, j’expliquais avec un naturel déconcertant qu’en descendant du véhicule, j’avais bêtement glissé sur une plaque de verglas, m’écorchant au passage sur l’angle supérieur de la portière. Et d’ajouter avec tout autant d’assurance :

- j’ai eu de la chance, pour un peu c’est l’œil qui prenait !

Mon boss fronça des sourcils et m’ordonna d’aller me voir dans la glace, en m’indiquant les toilettes...

Et là, alors que je découvrais à la lumière des puissants néons deux autres magnifiques griffures, parfaitement parallèles, de part et d’autre de la balafre plus profonde que j’avais aperçue dans le rétroviseur du véhicule, j’entendis mon boss s’exclamer depuis son bureau :
 
- Et donc tu t’es cassé la gueule trois fois de suite ? Tu me prendrais pas un peu pour un con non ?!
      
Puis d’ajouter ;

- T’as de la chance, apparemment la portière n’a pas l’intention de déposer plainte contre toi !

- ???

 


#RICHARDLE FORMATEUR

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